La résiliation judiciaire

Tout salarié peut saisir le conseil des prud’hommes pour demander la résiliation de son contrat de travail lorsqu’il constate que l’employeur ne respecte pas son engagement contractuel. En cas de gain de cause, la rupture équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le cas échéant, le rapport juridique qui lie les deux parties poursuit ses effets. Si cette pratique est généralement quasiment exclusivement réservée à l’employé, l’entreprise peut toutefois y recourir également dans des cas précis.

Sommaire :
Principe
ConditionsDurcissement des conditions
Procédure
Conséquences
Licenciement postérieur


 

Principe

Selon l’article 1184 du Code Civil, l’une des deux parties d’un contrat synallagmatique (avec une obligation réciproque entre les parties signataires) peut demander la résiliation judiciaire du rapport juridique qui les lie en cas de manquements aux obligations contractuelles par l’autre partie. C’est sur la base de ce texte que la jurisprudence a créé la résiliation juridique du contrat de travail, qui permet au salarié de rompre le lien contractuel lorsqu’il reproche à l’employeur une inexécution de ses obligations.

Cette procédure est différente de la démission, il appartient effectivement aux juges prud’homaux de statuer sur la demande de l’employé qui continue de travailler normalement jusqu’à la date du jugement.

Lorsque la résiliation est acceptée à la date de jugement, la rupture prend la forme d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le salarié bénéficie des avantages liés à cette forme de rupture de contrat (voir le paragraphe « Succès des procédures » ci-dessous). Lorsqu’elle est déclinée, le contrat de travail reprend ses modalités antérieures.

 

Conditions à respecter

La demande de résiliation judiciaire d’un CDI est en principe réservée à un salarié, car l’employeur dispose déjà de la faculté à entamer unilatéralement une rupture via le licenciement (Cass. soc. 13 mars 2001, n° 98-46411). Toutefois, la loi permet à une entreprise d’emprunter cette procédure en cas d’inaptitude, de faute grave ou de manquements répétés à ses obligations par un apprenti.

Dans la pratique, il n’existe pas de conditions particulières exigées par la loi pour qu’une résiliation judiciaire soit prononcée. Selon la jurisprudence, il suffit que les manquements dénoncés par l’employé soient « suffisamment graves » pour que le contrat de travail ne puisse plus continuer sous un climat de consensus entre les deux parties (Cass. soc. 21 janv. 2009, n° 07-41822 et Cass. soc. 30 mars 2010, n° 08-44236).

Selon l’arrêté n° 03-42070 du 15 mars 2005, l’appréciation de la gravité de ces manquements est exclusivement de l’essor du « pouvoir souverain des juges du fond », tant concernant les faits que leur ancienneté.

Avant 2014, le juge a considéré que les cas suivants peuvent être retenus pour accepter la demande du salarié :

  • Suppression d’un avantage professionnel tel que le véhicule professionnel (Cass. soc. 10 mai 2006, n° 05-42210) ;
  • Non-paiement du salaire (Cass. soc. 20 juin 2006, n° 05-40662) ;
  • Modification du contrat de travail tel que le mode de calcul ou le montant de la rémunération, sans concertation avec l’employé (Cass. soc. 20 mai 2009, n° 08-41178);
  • Discrédit, harcèlement sexuel ou moral, discrimination ou propos dégradants affectant la dignité, l’image, la fonction ou l’autorité du salarié (Cass. soc. 7 juil. 2009, n° 08-40034).

La jurisprudence a ensuite restreint l’appréciation de la résiliation judiciaire en ne retenant que les cas exceptionnels qui entrainent l’impossibilité de la poursuite du contrat (arrêté du 12 juin 2014 n°12-29063 et n°13-11448).

 

Durcissement des conditions

La gravité et l’ancienneté des violations reprochées à l’employeur pèsent désormais pour beaucoup dans la légitimité de la demande de résiliation judiciaire par un salarié. La modification unilatérale du contrat qui est non préjudiciable au salarié est désormais écartée des motifs graves par les juges dès lors que cela n’affecte pas la poursuite du contrat.

Par ailleurs, la Cour de Cassation peut permettre à l’employeur de régulariser les faits qui lui sont reprochés jusqu’au jour de l’audience (arrêt du 29 janvier 2014). La période située entre la commission de la faute avancée par l’employé et la saisine du Conseil en résiliation est aussi scrupuleusement étudiée.

Les manquements dénoncés ne doivent pas notamment être trop anciens, sous-entendant une poursuite du contrat de travail bien qu’elle n’ait pas été appréciée par le salarié (Cass. Soc. 26 mars 2014, n°12-23 634 et 12-35040).

 

La procédure

La résiliation judiciaire ne connait pas de procédure particulière si ce n’est la saisine du conseil des prud’hommes. Durant toutes les démarches, les deux parties doivent maintenir le rapport juridique qui les lie. L’employeur peut également licencier le salarié pour d’autres faits en cours de contrat, postérieurement à la demande de résiliation.

Il appartient en principe au salarié de prouver la gravité des manquements aux obligations contractuelles par l’employeur (Cass. soc. 28 nov. 2006, n° 05-43901) et l’existence d’un doute profitera à l’employeur (Cass. soc. 19 déc. 2007, n° 06-44754). En revanche, il incombe à ce dernier d’apporter les preuves nécessaires de ses actions si on lui a reproché de manquer aux obligations de sécurité (Cass. soc. 12 janv. 2011, n° 09-70838) ou d’adaptation du poste de travail suite à une inaptitude de l’employé (Cass. soc. 14 oct. 2009, n° 08-42878).

Les manquements d’un ancien employeur en cas de transfert d’entreprise (L1224-1 CT) peuvent toujours être reprochés dans le cadre de la gestion du nouvel employeur pour une procédure de demande de résiliation judiciaire.

 

Les conséquences de la résiliation judiciaire

  • Succès des procédures

La résiliation judiciaire du contrat du travail est prononcée aux torts de l’employeur lorsque les manquements de celui-ci à ses obligations sont considérés comme suffisamment graves par le juge. La rupture prend alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 17 mars 1998, n° 96-41884).

Dans ce cas, l’employé perçoit une indemnité de licenciement, une compensation des congés payés et une autre pour le préavis, même s’il n’a pas pu l’effectuer (Cass. soc. 13 mai 2015, n° 13-28792). Il peut demander des dommages-intérêts pour compenser le préjudice subi et a droit aux indemnités de chômage. Dans le cas d’un salarié protégé, la résiliation judiciaire prend la forme d’un licenciement nul (Cass. soc. 26 sept. 2006, n° 05-41890).

Le contrat prend alors fin le jour de la décision judiciaire lorsque l’employé a continué de travailler pour l’employeur durant les procédures (Cass. soc. 11 janvier 2007, n°05-40626). En revanche, si le salarié est licencié pendant les démarches, on retiendra la date d’envoi de la lettre de licenciement pour mettre fin au contrat.

Lorsque le contrat a prévu une clause de non-concurrence, le délai de renonciation y afférent court à compter de la date de jugement. Enfin, une rupture du contrat imputable à l’employeur rend caduque toute clause de dédit formation (Cass. soc. 11 janv. 2012, n° 10-15481).

  • Échec de la procédure

Lorsque le juge a statué que les violations de l’employeur n’étaient pas suffisantes, le contrat de travail poursuit ses effets normalement. L’employé n’est pas considéré comme démissionnaire et le simple fait qu’il ait demandé une résiliation judiciaire ne peut pas constituer un motif de licenciement (Cass. soc. 21 mars 2007, n° 05-45392).

 

Licenciement postérieur

Que ce soit pour un motif économique (Cass. soc. 21 juin 2006, n° 05-44020) ou personnel (Cass. soc. 16 fév. 2005, n° 02-46649), un licenciement peut être engagé par un employeur, postérieurement à une demande de résiliation judiciaire d’un salarié. Dans ce cas, les juges apprécieront d’abord la légitimité de la résiliation judiciaire avant de trancher sur les motifs du licenciement (Cass. soc. 7 fév. 2007, n° 06-40250). En revanche, une résiliation judiciaire entamée après un licenciement est considérée comme sans objet.

Il faut savoir qu’un licenciement ne peut pas être motivé par une simple action en justice de l’employé pour demander une résiliation judiciaire. Cela se maintient même si :

  • Les procédures de renvoi sont entamées « ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat » (Cass. Soc. 26 avr. 2006, n° 05-43591) ;
  • Le contrat est rompu par l’acceptation du CSP dans le cadre d’une procédure économique (Cass. Soc. 12 juin 2012, n° 11-19641) ;
  • Le contrat a fait l’objet d’un transfert lors d’une vente, une succession ou une fusion (Cass. Soc. 7 décembre 2011, n° 07-45689).

Par ailleurs, un employé peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail même si une démarche de résiliation judiciaire a déjà été entamée. Dans ce cas, le contrat est rompu immédiatement « en sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant » (Cass. soc. 31 oct. 2006, n° 04-46280 ; 04-48234 ; 05-42158). Les manquements reprochés à l’employeur lors de la demande de résiliation serviront tout de même à appuyer la décision des juges sur la prise d’acte (Cass. soc. 31 oct. 2006, n° 04-46280 ; 04-48234 ; 05-42158).