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Journée de Solidarité : le Sénat vote l’instauration de 7h de travail supplémentaires non rémunérées

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Rédigé par Sylvain Siel

Le 20 novembre 2024, le Sénat a adopté une proposition qui ne manquera pas de faire débat dans les prochains mois. En marge de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, les sénateurs ont validé une mesure visant à imposer aux salariés du secteur privé et public de travailler sept heures supplémentaires par an sans rémunération. Cette « contribution de solidarité », qui a pour objectif de combler le déficit du secteur de l’autonomie, pourrait rapporter chaque année 2,5 milliards d’euros à la Sécurité sociale. Mais cette proposition soulève de vives inquiétudes parmi les syndicats et le patronat, et suscite de nombreuses interrogations sur sa mise en œuvre concrète.

Une mesure pour financer le « mur du grand âge »

Présentée comme une réponse à la crise financière qui frappe le secteur de l’autonomie, la mesure vise à financer les besoins croissants liés au vieillissement de la population, au virage domiciliaire et à la transformation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). La sénatrice centriste Elisabeth Doineau, porte-parole de cette proposition au Sénat, a insisté sur la nécessité de trouver de nouvelles sources de financement pour faire face à ce qui est appelé le « mur du grand âge ». Selon elle, cette mesure, bien que difficile, est indispensable pour éviter une « crise sociale » et garantir un système de soins digne pour les personnes âgées.

Le financement de l’autonomie est devenu l’un des enjeux majeurs du débat public en France. Les prévisions démographiques indiquent une augmentation significative de la population âgée, ce qui génère une pression croissante sur les financements publics. Le déficit du secteur est évalué à plusieurs milliards d’euros chaque année, et le financement de l’autonomie est devenu une priorité pour le gouvernement. Cette « contribution de solidarité » est une tentative d’apporter une solution à cette problématique.

Une nouvelle journée de solidarité, sans le jour férié

Cette mesure s’inscrit dans la continuité de la « journée de solidarité » instaurée en 2004, qui avait déjà imposé une journée de travail supplémentaire sans rémunération pour financer les besoins du secteur de l’autonomie. La nouveauté réside dans le fait qu’il ne s’agirait pas d’un jour férié, mais de sept heures de travail réparties tout au long de l’année. Les modalités précises de cette « journée de solidarité » seront négociées avec les partenaires sociaux, qui pourraient choisir de l’organiser sous différentes formes : une journée complète de travail, une série d’heures réparties sur l’année, voire des ajustements hebdomadaires comme des minutes supplémentaires de travail chaque semaine.

Ce choix de ne pas associer cette mesure à un jour férié permettrait d’éviter les tensions liées aux fermetures d’entreprises ou aux difficultés organisationnelles, notamment dans le secteur des commerces et des services. Mais certains craignent que cette flexibilité n’aboutisse à une charge de travail supplémentaire non compensée qui pèse directement sur les salariés, sans réelle contrepartie.

Une proposition qui divise : syndicats et patronat vent debout

L’annonce de cette « contribution de solidarité » a immédiatement provoqué des réactions fortes tant du côté des syndicats que du patronat. Les représentants des salariés, comme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, ont dénoncé cette mesure comme une tentative de « faire travailler plus pour gagner moins », pointant du doigt une forme de « travail gratuit » qui pénalise les travailleurs tout en renflouant les caisses de la Sécurité sociale. Ils s’inquiètent également des effets cumulatifs de cette mesure sur les conditions de travail, déjà éprouvées par de nombreuses catégories socio-professionnelles.

Du côté du patronat, les réactions sont également critiques. Le Medef, bien que se disant favorable à l’idée d’augmenter la quantité de travail pour financer le modèle social, reste prudent quant à l’impact de cette mesure sur les entreprises. Le patronat redoute que cette nouvelle charge supplémentaire ne pèse sur les petites et moyennes entreprises (PME), notamment dans les secteurs où les marges sont déjà étroites. En revanche, les organisations telles que la CPME et l’U2P ont soulevé des objections pratiques, en particulier concernant l’impact sur les artisans et commerçants qui n’ont souvent pas de RTT à retirer.

Le gouvernement prend ses distances, mais reste ouvert à la discussion

Le gouvernement a exprimé un avis défavorable sur cette proposition, tout en se montrant ouvert à la possibilité de retravailler le dispositif avec les partenaires sociaux. Le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, a d’ailleurs précisé que la question du temps de travail n’était pas un tabou, mais que la question de sa mise en place via un amendement au PLFSS posait problème. Le gouvernement préconise plutôt une concertation approfondie pour parvenir à un compromis équilibré qui prenne en compte les réalités des entreprises et des salariés.

Un compromis en cours : la commission mixte paritaire

Cette mesure, bien que votée par le Sénat, n’est pas encore définitive. Elle sera prochainement débattue lors d’une commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs, qui devra trouver un terrain d’entente entre les différentes positions. Le gouvernement a déjà indiqué qu’il pourrait recourir à l’article 49.3 pour accélérer l’adoption du projet de loi si un compromis n’est pas trouvé.

Si cette nouvelle contribution venait à être adoptée dans sa version actuelle, elle marquerait un tournant dans la gestion des déficits sociaux, mais aussi un risque d’exacerber les tensions sociales en France, où la question du partage de l’effort entre les différents acteurs économiques est de plus en plus prégnante.